Une création ducale
Le premier écrit faisant mention du Parc au Duc de Châteaulin est un acte du duc Jean IV, daté du 15 janvier 1396 ; le duc rappelle qu’un de ses prédécesseurs, Jean Ier Le Roux, fit don au monastère de Prières, situé dans le diocèse de Vannes, d’une partie des revenus provenant de la forêt de Derguzec « autrement dit le parc de Châteaulin »1. La Chronique de Saint-Brieuc, rédigée une dizaine d’années plus tard, apporte des précisions quant à l’origine du Parc. Celles-ci sont citées, en 1713, par l’Historien Dom Hyacinthe Morice, bénédictin, dans son volume des preuves pouvant servir à l’Histoire de Bretagne2. Elles rapportent que le duc Jean Ier Le Roux fonda dans son duché des monastères, édifia le château de Suscinio et les parcs de Châteaulin dans le diocèse de Cornouaille, de Duaud, de Carnoët proche de Quimperlé et de l’Isle près de La Roche-Bernard. Jean Ier Le Roux fut duc de Bretagne de l’abdication, en 1237, de son père Pierre Mauclerc jusqu’à sa mort survenue en 1286. Il avait épousé Jeanne de Champagne qui lui donna huit enfants dont Pierre qui naquit, en 1241, au château ducal de Châteaulin. Son règne s’étend parallèlement à ceux des rois de France Louis IX (Saint Louis) de 1226 à 1270 et Philippe III le Hardi de 1270 à 1285. Il fut inhumé dans l’église abbatiale de l’abbaye de Prières qu’il avait fondée à l’embouchure de La Vilaine.
Le parc ducal de Châteaulin est une vaste étendue de terres appartenant au duc et cerné d’un mur. L’accession au trône ducal, en 1066, de Hoël descendant des seigneurs de Châteaulin fit passer le domaine seigneurial de Châteaulin dans le domaine ducal. On ne sait pas si Jean Ier Le Roux fit l’acquisition ou confisqua d’autres terres pour édifier son parc de Châteaulin en un seul tenant. Dans tout son duché, il établit plusieurs parcs comme celui de Châteaulin.
Carte dressée en 1946 par Jos Le Doaré
d'après les notes du docteur Eugène Halléguen
Au XIXe siècle, des érudits locaux, en particulier le docteur Eugène Halléguen3, se basant sur les restes du mur du parc, sur la toponymie et sur des archives ont établi un tracé de l’ancien mur du Parc au Duc. Celui-ci, partant du Château de Châteaulin et y revenant, s’étend sur une longueur de plus de trente kilomètres et enserre une partie du territoire des communes de Châteaulin, de Lothey, de Briec, de Cast et la totalité de la commune de Saint-Coulitz. Le long du mur, vers l’extérieur, était aménagé un chemin.
Un massif forestier
Le parc de Châteaulin comme les autres parcs du duché était avant tout, comme l’indique l’acte de Jean IV de 1396 cité plus haut, un massif forestier : ressource importante à l’époque. La forêt fournissait le bois d’œuvre aussi bien que le bois de chauffage parfois transformé sur place en charbon de bois. Elle constituait une réserve de petits et gros gibiers. Elle fournissait la matière première à nombre de sabotiers. Par endroits, elle était une zone de pacage pour les pourceaux. Le plus ancien rôle des comptes du duché, datant de 1262, signale la présence à Châteaulin d’un forestier du duc appelé Du Bois chargé de surveiller la forêt de Châteaulin4. Certains historiens pensent que la construction d’un mur pour limiter le territoire du parc s’expliquait par la volonté de protéger le gros gibier ou même de servir de territoire d’élevage pour des chevaux. Il paraît plus juste de voir dans ce mur, de 1m.50 à 1m.80 de hauteur, la volonté ducale de protéger ses domaines contre leur grignotage par des seigneurs, des monastères voire des paysans. En 1397, avant que Brest ne soit rendu aux Bretons, Le Duc Jean IV se plaint auprès du roi d’Angleterre Richard II de ce que les capitaines et leur garnison de Brest, « courent et chassent les bois et forêts de Châteaulin qui sont au duc »5.
Restes du château fort bâti vers 1100
sur l'éperon rocheux qui domine la ville.
Le mur du Parc au Duc en partait et y revenait.
A contrario, la vocation forestière du parc au duc de Châteaulin est démontrée par le rapport que fait en 1537 Antoine Bullioud, général des finances du duché pour François Ier : « A Châteaulin, écrit-il, la forêt de Derguzec est quasiment détruite, comme la forêt de Carnoët à Quimperlé, à cause des coupes de bois faites pour la construction de nombreux navires à Brest pour le service du roi et des ducs. »6
Non seulement la forêt a été détruite mais elle a été progressivement remplacée par des exploitations agricoles tenues par des paysans sous le régime du domaine congéable. C’est ce que révèle la vente, en 1558, par le roi de France Henri II, d’une partie du Parc au Duc de Châteaulin à Michel du Bot, seigneur du Guilly en Lothey7 ; le domaine ducal était devenu domaine royal lors du rattachement de la Bretagne au royaume de France en 1532. Le document cite les noms des villages et des convenanciers :
Les moulins de Penpontchorentin (Pennarpont) et de Pennault (Pennod) situés en la paroisse de Lothey avec leurs écluses et retenues d’eau.
Penanros en Lothey ? tenu par Hervé Le Gof et Jehan le Bodolec et leurs consorts.
Penanpont (Pennarpont) tenu par Derien Poulmarch et ses consorts.
Keriecuff (Kerincuf) en Lothey tenu par Alain Le Gof, Guillaume Provost, Yvon et autre Yvon et Jehan Paige et leurs consorts.
Penanguern (Penn ar Vern) en Lothey tenu par Pierre et Guillaume Mener, Urgoez Floch et leurs consorts.
Pennault (Pennod) en lothey tenu par Jehan Guillou, Allain le Douguet et leurs consorts.
Le Quencquis (Le Quinquis) en Châteaulin tenu par Guillaume Hervé, Henry et Yvon Quintin et leurs consorts et Aliette Prigent veuve de Jehan Quintin.
Kerangluydic (Quivouidic) en Châteaulin tenu par Alain et Guillaume Periou et leurs consorts.
Leuzré et Penanselus (Leuré) en Châteaulin tenu par Hervé et Alain Periou, Yvon le Roux et leurs consorts.
Kermoëllien (Kervoëllien) en Châteaulin tenu par Grégoire Quintin, François Guillou et ses frères et leurs consorts.
Prathir en Châteaulin tenu par Yvon Blaës et la veuve Hervé Blaës et leurs consorts.
Stanginen (Stanguivin) en Châteaulin tenu par Jehan et Alain Quintin et ses enfants, Yvon Quintin et ses frères et leurs consorts.
Runanpuncze (Reun ar Puns) tenu par François Le Gourlay, Pezron le Faou et leurs consorts «Plus deux soulz six deniers monnoye à cause des Goretz qu’ils tiennent sur la rivière d’Afve».
An Guernec, en Saint-Coulitz, (Gouesnac’h ?) tenu par Jehan Le Bignat et leurs consorts
Keranlaouenan, en Lothey, (Kerlaouénan) tenu par Jehan Bignat et ses consorts.
Cette liste montre, qu’en ce milieu du XVIe siècle, l’ancienne forêt ducale a fait place à un réseau de tenures agricoles. A l’époque de la création du Parc au Duc, l’accroissement de la population rurale provoque un mouvement de défrichements intenses dans les campagnes bretonnes, une soif de terres. La construction du mur du Parc au Duc ne représenterait-elle pas une tentative pour conserver le massif forestier de Derguzec ?
Un plan de 1667 nous montre la chapelle de Notre-Dame de Kerluan
bâtie proche de la "muraille du Parc au Duc"
entre les villages de Penarpont et de Penanros.
Le souvenir du mur
Si le mur a perdu peu à peu son rôle primitif, il sert souvent de limites aux parcelles de terre voisines. Il est souvent cité aux XVIIe et XVIIIe siècles dans les aveux des seigneurs à leurs suzerains comme dans ceux des paysans à leurs seigneurs. C’est aussi le cas dans de nombreuses procédures de justice. Les archives du Finistère à Quimper conservent un plan en couleurs des terres du village de Penarpont à Châteaulin dressé en 1667 à l’occasion d’un procès entre dom Benoît Coquelin, prieur de Saint-Idunet, d’une part et Robert du Louët seigneur de Coetinval et François de Kergoët seigneur du Guilly à Lothey d’autre part8. Le plan dessine bien le mur de l’ancien Parc au Duc depuis le village de Run ar Puns et jusqu’à celui de Penn ar Pont. Il indique les terres situées d’un côté du mur comme « Parc au Duc ». Au XIXe siècle, on trouve encore mention du mur du Parc au Duc dans le cadastre de Châteaulin de 1847 pour sa portion entre Prat-Aval et le bois de Saint-Gildas en Cast. Dans cette commune de Cast, le cadastre de 1810 comporte une section appelée en breton Parc an Duc. La toponymie nous conserve jusqu’à ce jour le souvenir du mur sous des noms comme Hent ar Vur (le chemin du mur), Pen ar Vur (l’extrémité du mur), Ty ar Vur (la maison du mur). La légende populaire s’est aussi emparée de ce mur qui par sa longueur ne pouvait être que l’œuvre du Diable d’où la dénomination de Moguer an Diaoul, le mur du diable.
A l’intérieur du méandre de l’Aulne sur lequel est bâti Châteaulin, le mur isole un espace que l’on a appelé Parc Bihan : le petit parc. Dans un aveu de 1687, on mentionne deux pièces de terre qui se joignent et sont situées dans le Parc au Duc dépendant des villages de Parc Bihan Isella et Huella et donnant du levant sur la Ville-Jouan.9
Sur cette section du cadastre de 1811,
les pointillés indiquent le tracé du mur du Parc au Duc dans la ville de Châteaulin.
(cliquer sur la photo pour l'agrandir)
Sur le territoire de Châteaulin, le mur partait du donjon du château, il traversait l’Aulne à l’endroit du barrage de la pêcherie de saumons et gagnait la Ville-Jouan et de là il s’étirait en ligne droite vers le gué de Coatigrac’h. Il repartait en direction des villages successifs de Penfeunteun, de Reunarpuns, Penanros et de là se dirigeait en ligne droite jusqu’à l’ouest de la chapelle de Kerluan puis s’incurvait vers Penarpont où il traversait une nouvelle fois l’Aulne par le barrage du moulin de l’Aulne situé en Lothey. Après avoir poursuivi son tracé dans les communes de Lothey, de Briec et de Cast, il descendait en ligne droite vers le village de Prat-Aval pour revenir par le Vieux-Bourg au pied du chateau.
Une unité administrative
Le Parc au Duc qui s’étendait sur cinq paroisses semble avoir constitué, à une époque, une certaine unité administrative. Au début du XVIIIe siècle, le marquis de Nointel, intendant de Bretagne, rappelle au sénéchal de Châteaulin « que quoique les parcelles de Châteaulin, Lothey, Briec enclavées dans le Parc au Duc paient leur fouage avec ceux de Saint-Coulitz, ils doivent payer leurs autres charges dans leur paroisse naturelle. »10 On apprend aussi dans cette procédure que les habitants du Parc au Duc dans la paroisse de Cast ont été « désunis et détachés » de la paroisse de Saint-Coulitz. Pour preuve de leur lien avec les autres habitants du Parc au Duc, les paroissiens de Saint-Coulitz font remarquer qu’ils choisissent leurs procureurs terriens ou syndics dans les parcelles de Lothey, de Briec et de Châteaulin. Ils vont jusqu’à déclarer que les habitants des parcelles étant et formant tous ensemble une communauté indivise, c’est un crime de les séparer sans lettres patentes de sa Majesté. De son côté le Corps Politique de Châteaulin faisait remarquer que « ceux qui contribuent de Châteaulin en Saint-Coulitz sont les meilleurs ménagers (paysans) de Châteaulin ».
Restes du mur du Parc au Duc en Lothey
entre Ty-Carré et Runigou.
Les effets du temps, le désintéressement, les remembrements successifs, le tracé de la voie express ont contribué à la disparition d’une grande partie du mur du Parc au duc de Châteaulin construit au milieu du XIIIe siècle. Quelques tronçons subsistent çà et là laissant indifférent le promeneur.
Guy Leclerc (30-01-2017)
Plan du Parc au Duc de Châteaulin
figurant dans "L'Etat Breton aux 14e et 15e" T.1 par Jean Kerhervé
Notes
1-Michael Jones, Recueil des Actes de Jean IV, t. II, 1983, p. 615
2- Dom Hyacinthe Morice, Mémoires pour servir de preuves à l’histoire ecclésiastique et civile de Bretagne, t.1, 1742
3- Eugène Halléguen, L’Echo de Châteaulin, n° 505, 10 novembre 1850.
4- B.-A. Pocquet du Haut-Jussé : Le plus ancien rôle des comptes du duché (1262), dans Mémoires de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Bretagne, t. XXVI, 1946
5- Michael Jones, Recueil des Actes Jean IV, t. II, 1983, p.655
6-Chantal Reydellet : Un voyage en Bretagne de Antoine Bullioud, général des Finances du duché pour François 1er (mai-octobre 1537), dans Charpania, Mélanges offerts par ses amis à Jacques Charpy, 1991, pp315-317.
7- L’Emprunt forcé de 1558 - Lettre patentes du roi Henri II et vente d’une partie du domaine royal de Châteaulin, en Cornouaille. Dans Bulletin et Mémoires de la Société d’Emulation des Côtes-du-Nord, t. XXXVII, 1890
8- Archives départementales du Finistère, 2 H 134
9- Id°, A 48
10- id°, 34 G 18